Sucy, points d’Histoire - lettre N°9 - décembre 2020

Lettre mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie [ http://www.shas.fr ]


La famille Halévy  (2/3):

Après avoir présenté la vie et l'oeuvre de Ludovic Halévy (lettre mensuelle de novembre 2019), la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie poursuit la présentation de la famille Halévy : aujourd'hui Elie Halévy, fils aîné de Ludovic.

Élie Halévy :


Portrait d'Elie Halévy

Né en 1870 à Etretat, Elie fait ses études au lycée Condorcet et entre en 1890 à l'École Normale Supérieure où il rencontre Xavier Léon, avec lequel il fonde trois ans plus tard la Revue de métaphysique et de morale, Célestin Bouglé, Léon Brunschvicq et le futur philosophe Alain. Après avoir passé brillamment l'agrégation de philosophie, il enseigne à l'École libre des sciences politiques (ancêtre de Sciences Po) en donnant un cours sur l'évolution des idées politiques dans l'Angleterre au XIXe siècle, puis un second sur le développement du socialisme. En 1901, il passe sa thèse de doctorat sur "La Formation du radicalisme philosophique", ouvrage publié en 1901-1904. Cette même année, il rencontre Florence Noufflard, issue d'une famille franco-florentine, et l'épouse le 16 octobre 1901. Le couple fait bâtir en 1910 dans le parc du château de Haute-Maison une grande demeure isolée au milieu des arbres, la "Maison Blanche", aujourd'hui propriété de la Ville de Sucy, à la suite du testament de Geneviève Noufflard, nièce d'Elie et de Florence, et siège de la SHAS. C'est dans cette maison qu'Elie rédige ses principales oeuvres, l'Histoire du peuple anglais (1913-1923), L'Ère des tyrannies (ouvrage posthume, 1938) et l'Histoire du socialisme européen (ouvrage posthume, 1948). L'ensemble de ces ouvrages ont été republiés récemment par Vincent Duclert et Marie Scot aux éditions Les Belles Lettres.

 

Au cours d'un colloque organisé à Sucy en 2016 et dont les actes ont été publiés par Vincent Duclert et Marie Scot (Elie Halévy et l'Ère des tyrannies. Histoire, philosophie, politique, éd. Les Belles Lettres, Paris 2018), Michel BALARD a décrit la vie d'Elie à Sucy dans l'article suivant (p. 63-66 du volume) :



Elie Halévy (1870-1937)

            « Dans le calme de Sucy…je sens que je deviens une espèce de moine, et que le monde extérieur finit par perdre sa réalité ».  Ces quelques mots écrits dans une lettre adressée à son ami Célestin Bouglé en juin 1918 expriment l’attachement d’Elie Halévy à sa demeure de Sucy, la « Maison Blanche », qu’il a fait construire en 1910 et qui fut sa résidence de 1911 jusqu’à sa mort en août 1937.

            Elie connaissait bien Sucy, avant de s’y installer. Son père, Ludovic, avait acheté en 1893 une belle demeure du XVIIIe siècle, toute proche, la Haute-Maison. Il y recevait de nombreux Parisiens de renom, des écrivains, des artistes, et appréciait beaucoup le calme de Sucy, la splendeur de la végétation dans un grand parc couvrant neuf hectares. Elie partageait les goûts de son père. De 1895 à son mariage en 1901, il passa de longs mois à Sucy, particulièrement au printemps et en été. En octobre 1895 il déclare corriger des épreuves à Haute-Maison. Une photo le représente avec son frère Daniel Halévy et des amis lisant L’Aurore sur les marches de la demeure, en plein cœur de l’affaire Dreyfus. Le jeune professeur à l’Ecole des Sciences politiques (1898) s’attachait aussi à donner des cours « populaires » à Sucy, comme il le déclare dans une lettre à Célestin Bouglé, le 1er janvier 1899. Il est probable que son premier ouvrage La théorie platonicienne des sciences a été en partie composé à Sucy, de même que la rédaction de la Formation du Radicalisme philosophique, dont le deuxième volume constitua sa thèse soutenue en mars 1901.



Les Halévy et l'Affaire Dreyfus


            C’est en cette même année (juillet 1901) qu’il fait la connaissance à Sucy de Florence Noufflard, que Ludovic et Louise Halévy avaient invitée à Haute-Maison. Quelques semaines plus tard, ont lieu les fiançailles à Jouy-en-Josas, puis le mariage à Florence. Les voyages en Italie et en Angleterre, l’installation du couple Quai de la Mégisserie n’éloignent pas pour autant Elie de Sucy. Il vient y prononcer en 1902 une allocution de distribution des prix, consacrée à la Marseillaise et à l’éloge de la République. Il y accueille à Haute Maison ses amis, Xavier Léon, Célestin Bouglé, le philosophe Alain, particulièrement après la mort de son père en mai 1908. « Tous trois m’ont conduit sur la terrasse admirer les arbres en fleur, les coteaux, le coucher du soleil », écrit-il en avril 1909.



Portrait de Florence Halévy-Noufflard




Elie et Florence devant Haute-Maison

            Elie ne pouvait se satisfaire d’une existence itinérante et recherchait un lieu propice à l’étude et à la contemplation de la nature. Aussi n’est-il pas étonnant qu’il ait décidé de se fixer à Sucy, en faisant construire en 1910 la « Maison Blanche » que le couple occupa dès l’année suivante. Pour ce faire, il fit appel à l’architecte, Georges Vaudoyer (1877-1947), beau-frère de Daniel Halévy, et descendant d’une illustre famille d’architectes. On doit à cet homme de l’art l’immeuble de la Fondation Singer-Polignac, construit en 1910, de fort belles maisons de notables à Jouy-en-Josas, la construction du Ministère de la Culture, face à la Samaritaine, et un intérêt marqué pour les cités-jardins, par exemple à Epinay-sur-Seine. La nouvelle demeure, édifiée dans un style germanique et isolée au milieu des arbres, tel un rendez-vous de chasse, a un aspect quelque peu austère, mais répond aux désirs d’un savant recherchant le calme et la beauté de la nature, d’autant qu’au-delà de « Maison Blanche » commençait alors la campagne qu’Elie se plaisait à parcourir en de longues marches solitaires. Il recueillait plantes et fleurs et les classait dans un herbier.


Elie e Florence à Maison Blanche

            Pendant vingt-six ans, « Maison Blanche » a été pour Elie un lieu de vie propice au travail, à la détente et à l’accueil. Ne disait-il pas dès avril 1895 qu’« il [était] clairement tout à fait impossible  de travailler autrement et ailleurs qu’à Sucy » ? Au premier étage de la demeure se trouve son cabinet de travail, avec sa bibliothèque, un placard sous la fenêtre où sont rangés tous les papiers relatifs à Sucy, son bureau au milieu de la grande pièce et son grand fauteuil rouge, dont il parle dans une lettre adressée en septembre 1914 à son frère Daniel, à qui il demande de mettre ses papiers en sécurité et de donner à la municipalité de Sucy une somme pour le Comité des dames françaises et une autre pour les soupes populaires. Quatre-vingts ans après sa disparition, le cabinet de travail n’a pas changé : les livres demeurent bien classés et le fauteuil trône dans un angle de la pièce, tout juste griffé par les chats qu’Elie se plaisait à caresser : une relique semblable au fauteuil de Molière à la Comédie française ! 

 

            Dans ses lettres, Elie parle souvent de l’agréable tranquillité de Sucy qu’il oppose à la vie parisienne agitée et frivole. François Furet, dans la préface qu’il a donnée à l’édition de la Correspondance d’Elie Halévy, souligne à juste titre que « l’éloignement de Paris a toujours été nécessaire à l’exercice d’une pensée indépendante, tant la capitale lui paraît vaniteuse et cancanière ». Il s’impose une journée de travail minutieusement réglée : le matin à son bureau dans lequel personne ne doit le déranger – il a toujours refusé l’installation du téléphone à « Maison Blanche » - après le déjeuner marche dans la campagne jusqu’à l’heure du thé, de nouveau une séance de travail, puis, après le dîner, lectures en compagnie de Florence. Il consacre une journée par semaine à ses cours à l‘Ecole des Sciences politiques, aime passer l’été à Sucy dans sa belle demeure, dont il ne s’éloigne que pour de longs séjours de travail en Angleterre au printemps, et pour de courtes vacances en septembre ou en octobre. Les tomes 2 et 3 de l’Histoire du peuple anglais au XIXe  siècle, l’Épilogue, l’ébauche de son Histoire du socialisme, et les articles de la Revue de Métaphysique et de Morale ont été composés ou relus à Sucy. Elie exploitait pour ce faire une documentation réunie à Londres ou lors de ses voyages en Europe. Revenu à « Maison Blanche » en juin 1918, après un long séjour comme infirmier à Albertville, il écrit : « Dans notre banlieue fort exposée (la guerre est loin d’être finie), je mène une vie paisible et studieuse, prêt chaque jour au pire. Jamais la campagne n’a été aussi belle que cet été, et je jouis de ces bois, de ces prés, qui peut-être avant l’automne seront saccagés par la guerre ». « En somme, une sphère d’activité rurale est la seule qui me convienne. Dès que j’entre en contact avec le Parisien, les choses prennent une mauvaise tournure ».

            Il ne faut pourtant pas imaginer Elie comme un misanthrope se coupant du monde. Il s’intéresse en effet à la vie de sa petite commune, en souhaitant par exemple favoriser la pratique du sport chez les jeunes. Il préside effectivement la société de gymnastique « La Laborieuse » et est nommé président d’honneur de « L’Union Sportive de Sucy ». Sa correspondance témoigne de ses multiples liens, en particulier avec ses amis du lycée Condorcet, de l’Ecole Normale supérieure ou d’Angleterre, qu’il se plaît à recevoir chez lui le dimanche, autour d’une table. Il y a là Léon Brunschvicq, Célestin Bouglé, avec qui il entretient une correspondance régulière, Julien Benda qui jusqu’en 1930 s’incruste chez Louise Halévy et distrait son monde par son agilité pianistique, le philosophe Alain, qui considérait son hôte comme un frère, et surtout Xavier Léon, fondateur de la Revue de Métaphysique et de Morale. Elie lui apporte conseils et collaboration et le remplace, à sa mort, à la direction de la Revue. Historiens, philosophes et savants se rencontrent à « Maison Blanche » ou parcourent ensemble la campagne environnante, en mêlant rires et discussions sérieuses. 

            Il faut aussi faire une place à d’autres hôtes pour lesquels Sucy a représenté un havre de sécurité et de repos. En 1924, Elie Halévy reçoit en sa demeure Gaetano Salvemini, échappé d’Italie où il menait la résistance contre le fascisme, et, quelques années plus tard, Carlo Rosselli, autre antifasciste notoire, qui s’était enfui des îles Lipari pour se réfugier  en France. Il accueille également à « Maison Blanche » ses amis anglais, au nombre desquels la grande médiéviste Eileen Power, spécialiste de l’histoire économique et sociale des derniers siècles du Moyen Age. On rencontre aussi à Sucy les Polonais Joseph et Marie Czapski, neveux d’un grand ami, le baron Meyendorff, qu’Elie se proposait d’aller voir en Finlande l’année de sa mort, en 1937.

            Le professeur à l’Ecole des Sciences politiques s’attachait aussi à gagner l’amitié et à favoriser la carrière de ses élèves les plus prometteurs. Comme l’écrivait sa nièce, Henriette Guy-Loë : « Il restait après son cours à s’entretenir avec les élèves qui le voulaient. Il avait tôt fait de discerner ceux qui travaillaient sérieusement. Il les invitait à passer le dimanche à Sucy. Ils arrivaient le plus souvent intimidés, un peu désarçonnés par le ton brusque de leur maître, par son rire : mais ils s’apercevaient bientôt qu’il était plutôt affectueusement amusé qu’ironique. Florence surtout les mettait tout de suite à l’aise, les recevant tout simplement, amicalement, les questionnant avec sympathie. Et jusqu’à la fin entre ce couple même vieillissant et ces tout jeunes gens, devaient se nouer des liens de solide amitié dans lesquels les différences d’âges étaient singulièrement sans importance. Certainement bon nombre de nos administrateurs et hommes politiques d’aujourd’hui, de professeurs de différents pays, qui ont été ces jeunes gens d’alors, se souviennent de la cueillette des perce-neige ou des violettes à Sucy ».

            Raymond Aron, Jean-Marcel Jeanneney, Etienne Mantoux, Pierre Laroque, Raymond Marjolin, Jean-Pierre Lazard, Jacques Winter, et quelques autres, étaient parmi ces invités du dimanche qui ont permis à Elie Halévy de mener à Sucy « une existence lisse et heureuse » (F. Furet) et, ajouterai-je, particulièrement féconde".

 

Elie Halévy meurt le 21 août 1937 à Sucy, et son épouse, Florence, disparaît en 1957.

 

Des nouvelles du Muséee :

Un inventaire complet du Musée de Sucy est en préparation, en vue de la future installation du Musée à la Maison du Cheval, proche de l'Hôtel de Ville.

 

Marché de Noël de Sucy :


La Shas sera présente au marché de Noël de Sucy et aura le plaisir de vous proposer la brochure sur la vie du Baron d'Holbach qui a été réalisée à partir de la conférence de septembre dernier du Dr. prof. Mercker.

Pour adhérer à la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie (SHAS) :
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Responsable de la publication : Michel Balard, président de l’association.

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