Sucy, points d’Histoire
Lettre
mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie
(SHAS.FR)
N°31
- février 2022
La
SHAS vient de publier un bel ouvrage abondamment illustré "Par-dessus
la cocarde - La Révolution à Sucy", comportant texte du scénario et
images du film tourné en 1990 avec le concours de 160 Sucyciens
bénévoles. L'ouvrage est disponible à la Librairie "L'oiseau moqueur",
rue du Moutier, ou auprès des membres du Bureau de la SHAS.
Vous y
trouverez en particulier deux scènes sur l'affaire Sainte-Amaranthe,
les propriétaires du château de Chaumoncel, arrêtés à Sucy et
guillotinés en thermidor 1794.
La lettre mensuelle vous présente leur
amie, Armandine Marchandeau de Lisle, épouse Rolland, qui était présente
à Sucy le jour de l'arrestation des Sainte-Amaranthe.
L'étude a été réalisée par Jean-Marie Veneau
L’AMIE PRODIGIEUSE DES SAINTE AMARANTHE
Madame de Sainte Amaranthe
Joséphine Armande Lucile Jeanne Marchandeau de Lisle, est née à Angers
(paroisse saint Jacques) le 3 octobre 1769. Son père Joseph Gilles
Marchandeau de Lisle était contrôleur général des domaines du roi et
avait alors 46 ans. Sa mère Louise Scholastique Flavie Bedane,
également née à Angers, n’en avait que 23 et était originaire d’une
famille de négociants de cette ville.
Selon la « biographie nouvelle des contemporains », écrite dans les
années 1820 par Antoine Vincent Arnault, « dès sa plus tendre enfance
(elle) annonça une grande vivacité d’esprit et d’imagination : ses
talents se développèrent de très bonne heure. Elle fit, n’ayant encore
que huit ans, une comédie qu’elle avait composée sans secours,
intitulée : «le retour des matelots » ou « la prise de Grenade ».
Sa famille lui fit épouser, à l’âge de treize ans, un collègue de son
père, François Marie Louis Barrairon. Le mariage eut lieu en décembre
1782 probablement à l’église saint Eustache de Paris. Le mari, avocat
au parlement et administrateur général de l’enregistrement et des
domaines, était né à Gourdon le 10 juin 1746. Il avait donc un âge
presque triple de celui de la jeune mariée. Le couple cohabitait avec
les parents de la mariée en l’hôtel des Domaines, rue Neuve des Petits
Champs.
Cette union ne fut guère paisible. Les déclarations de l’époux nous
apprennent que la relation du couple s’était dégradée dès 1784,
l’épouse manifestant des « affections indiscrètes » et des accès de
violence. Celle-ci met en cause la jalousie de son mari : il lui
prêtait une relation avec le duc de Bourbon mais cette relation se
limitait selon elle, à des voisinages de loges à l’opéra et des
œillades de voiture à voiture place Louis XV.
Au total, Lucile (puisqu’elle était appelée ainsi à l’époque) se
réfugie le 11 mai 1789 au couvent des Filles du Calvaire mais, cédant
aux sollicitations de sa famille, réintègre le domicile conjugal et
familial. Elle récidive le 16 mars 1790 et se réfugie cette fois au
couvent du Bon Secours, rue de Charonne. François Barrairon la retrouve
et fait appliquer un régime strict à sa femme : elle est confinée dans
sa chambre et « interdite de parloirs et de jardins ». Face à ces
restrictions la jeune femme ameute le peuple du quartier en appelant à
l’aide de sa fenêtre. Devant les menaces d’envahissement du couvent,
l’abbesse cède et assouplit ses conditions de vie. Mais elle cherche à
se débarrasser de cette encombrante pensionnaire, d’autant que, averti
de la situation par une de ses amies, Mirabeau s’était immiscé dans
l’affaire. Arguant de sa qualité de « commissaire des lettres de cachet
» il s’était introduit au couvent et, séduit par la jeune femme, avait
pris en main ses intérêts. Il s’était autoproclamé tuteur de la jeune
femme.
Entretemps un conseil de famille avait décidé de son placement au
couvent des Dames de la Présentation (rue des Postes) où elle fut
transférée le 20 mai. Si l’on en croit Arnaud de Lestapis (l’auteur
hélas ne cite pas ses sources sur ce point) la jeune femme eut tôt fait
de découcher en franchissant le mur du couvent grâce à une échelle que
lui tenaient galamment deux hommes. Mais la jeune femme, en instance de
séparation, se mettait par ce comportement en situation répréhensible.
Elle rejoignit enfin le 13 juillet 1790, le couvent du Précieux Sang,
rue de Vaugirard. Elle pouvait y vivre dans la plus grande liberté et
les souvenirs de Lucile nous narrent la liaison entre la jeune femme et
Mirabeau. Elle se rendait souvent au domicile de celui-ci à la chaussée
d’Antin et s’y fit de nombreuses relations dans les milieux
révolutionnaires. Cette liaison prit fin par une brouille quelque
temps avant la mort de Mirabeau le 2 avril 1791.
Lucile fit ensuite la connaissance des Sainte Amaranthe en juillet 1791
à l’occasion du transfert de Voltaire au Panthéon. Elle avait été
invitée, comme les Sainte Amaranthe, à profiter du balcon d’un ami de
son père boulevard des Italiens, pour voir passer le cortège. Elle
deviendra une familière de la famille jusqu’à leur fin tragique. Elle
habitait à cette époque au couvent sainte Elisabeth, en face du Temple.
Elle raconte également qu’elle quitta Paris et séjourna dans le
Finistère pendant un an entre 1792 et 1793.
Devenue intime des Sainte Amaranthe, elle fréquentait l’établissement
de jeu du club des Arcades au 50 du Palais Royal, tenu par madame de
Sainte Amaranthe. Elle y rencontra en particulier le comte de Keratry
et en devint amoureuse. Le comte était trop léger pour s’attacher
durablement et cette aventure prit bientôt fin. En tout cas, elle
séjournait suffisamment souvent à Sucy en Brie pour s’y trouver
présente en décembre 1793, lors de l’intrusion de l’armée
révolutionnaire au château de Chaumoncel et également le 1er avril
1794, lors de l’arrestation de la famille Sainte Amaranthe. Lucile
connaissait déjà Sucy : elle y était venue fréquemment dans son enfance
chez monsieur Ginoux, administrateur des domaines, ami et collègue de
son père. Le président du conseil révolutionnaire de Sucy qui vint
effectuer les arrestations, était d’ailleurs le concierge de Monsieur
Ginoux, ce qui valut la plus grande indulgence à Lucile et lui évita
l’arrestation.
Divorcée le 11 janvier 1793, Lucile se remaria le 7 juillet 1796 à
Paris avec Claude François Roland, né en 1762 à Besançon, directeur de
l’enregistrement et des domaines. L’écart d’âge entre les 2 époux était
cette fois plus raisonnable mais le milieu social et professionnel
était le même… Elle sera désormais connue sous le nom d’Armande Roland.
Elle mit au monde une fille Yolande Bernardine Charlotte Jeanne,
l’année suivante, le 1er décembre 1797.
avril
1794, arrestation de la famille Sainte Amaranthe
au château de Chemoncel à Sucy-en-Brie
Armande se consacra dès lors à la littérature et écrivit 9 romans en 25 ans :
- Palmira (1801)
- Mélanie de Rostange (1804)
- Alexandra ou la chaumière russe (1806)
- Aldebert de Mongelas (1810)
- Emilia ou la ferme des Apennins (1812)
- Lydia Stevil ou le prisonnier français
- La jeune bostonienne suivie d’Amica (1820)
- Le trésor de la famille Lowenbourg (1824)
- La comtesse de Meley ou le mariage de convenance (1825).
Elle retrouvait ainsi son goût pour l’écriture qu’elle avait manifesté
très tôt. On remarquera que les titres sont parfois exotiques, ce qui
étonne pour une personne qui n’a probablement jamais quitté la France.
Tous ces livres figurent au catalogue de la Bibliothèque Nationale
(sauf Aldebert de Mongelas). Palmira et Mélanie de Rostange sont
d’ailleurs consultables sur Gallica (respectivement 910 pages en 4
tomes pour l’un et 608 pages en 3 tomes pour l’autre).
La biographie d’Arnault commente ainsi son œuvre littéraire : « Madame
Roland cultive avec succès les lettres ; elle compte au premier rang
des femmes auteurs de ce temps ; mais modeste autant qu’aimable, elle
est satisfaite de ses jours dans le sein de sa famille et de ses amis
dont elle fait le bonheur ; elle se refuse à tout ce qui pourrait
l’enlever à la simplicité de ses habitudes. Elle a écrit plusieurs
romans (…) ; ils se distinguent tous par un plan habilement tracé, par
des caractères soutenus et souvent neufs ; par la peinture gracieuse et
vraie de la nature et des pays qu’elle décrit, par un style élégant et
facile, et par des scènes variées, qui procurent à l’âme de douces et
de violentes émotions ». En fait, ces livres sont tombés dans l’oubli
et l’on ne s’en étonnera pas à lire la description d’une société
mondaine, aristocratique et assez conventionnelle.
Les Roland allèrent s’installer à Périgueux (probablement après 1817,
date du mariage parisien de Yolande) ; Claude y mourut le 2 août 1832.
Armande, elle, mourut à Paris (1er arrondissement ancien) le 26 octobre
1852, à l’âge de 83 ans.
Etude réalisée par Jean-Marie Veneau
Sources :
Mes souvenirs sur Mirabeau A Roland 1869
La famille Saint Amaranthe A Roland 1864
Biographie nouvelle des contemporains Antoine Vincent Arnault 1820
Les aventures d’Armande Delisle Arnaud de Lestapis Revue des deux mondes 15 août 1956
Archives nationales Châtelet de Paris Y 5191
Geneanet (notamment contribution de Charles-Olivier Blanc)
Pour les Sucyciens, le nouveau livre de la SHAS :
LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE ET
ARCHÉOLOGIQUE DE SUCY-EN-BRIE (S.H.A.S.)
présente
« Par-dessus la Cocarde » - Sucy sous la
Révolution
Un livre de 88 pages environ,
au format 22 x 31,4, luxueux volume comprenant 58 illustrations couleur et le
texte du scénario du film tourné en 1990 à l’occasion du Bicentenaire de la
Révolution française par plus de 160 Sucyciens, volume relié cartonné
Disponible à la librairie L'Oiseau Moqueur (ou auprès de la SHAS) au prix de 25 €
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03/02/2022
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