SUCY

 

entre deux millénaires

 

 

 

O

n sait maintenant que le 31 décembre 1999 n’avait d’autre signification que de marquer l’entrée dans la dernière année du XXe siècle. Pourtant les Sucyciens qui vécurent ce passage mythique du premier chiffre « 1 », commun à toutes les années du millénaire précédent, au chiffre « 2 », valable pour les mille années à venir, avaient eu plus ou moins conscience de jouir d’un privilège : celui de connaître un moment exceptionnel de l'histoire du monde.

 

Que pouvaient-ils attendre de cet événement que les journaux de l'époque appelaient avec un peu de grandiloquence « l'entrée dans le deuxième millénaire ». De leur avenir, ils n'en savaient pas beaucoup plus que leurs lointains ancêtres vivant ici mille ans plus tôt. Encore que beaucoup de ceux-ci eussent tout simplement cru à la fin du monde qu’une légende superstitieuse fixait à l’an mille. Mais la plupart des contemporains du second roi capétien, Robert le Pieux, avaient d’autres sujets plus graves et plus directs de préoccupation. Les épidémies, les famines, les contrecoups des conflits féodaux, l’insécurité déjà, faisaient partie de leur tragique quotidien.

 

Si les habitants de Sucy, libres citoyens d’une Ve République française, avaient oublié ces terreurs séculaires, ce n’était pas pour autant qu’ils aient vécu sans inquiétudes. Depuis quarante ans, le pays se trouvait en paix. Mais la France n'était plus et de loin la grande puissance mondiale qu'elle avait été au début du siècle précédent. Elle pesait donc peu sur le destin du monde. Certes, la crainte latente d'une guerre entre les États-Unis d'Amérique et la Russie soviétique s'était miraculeusement estompée le jour célèbre du 9 novembre 1989 qui avait vu l'effondrement du mur de Berlin. Cependant les Français n'avaient pas encore saisi l'importance de la guerre des pierres (Intifada) ouverte deux ans plus tôt en Palestine. L'attaque surprise menée le 11 septembre 2001, sur le territoire même des États-Unis d’Amérique, par des pilotes suicides jetant des avions de ligne piratés contre des bâtiments militaires et commerciaux prestigieux, sera donc ressentie comme un coup de tonnerre.

 

Qu'en avaient pensé les Sucyciens ? Dans le numéro de Noël 2001 du Bulletin municipal, des conseillers municipaux n'avaient pas manqué d'évoquer ces événements, à la fois tragiques et lourds de conséquences :

« Dans quelques jours l'année 2001 sera sur le point de s'achever. Elle a apporté à chacun de nous des moments de joie et aussi son lot de tristesse et de désespoir [...] Si loin et pourtant si près de toutes ces turbulences planétaires, l'action municipale ressemble à un microcosme, mais la vie continue, quelles que soient les tragédies que nous vivons et que nous traversons. »[1]


 

 

 


 

 

LE PAYS DE SUCY

 

 

 

 

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n l'an 2000, le territoire de la commune de Sucy s'inscrivait dans une stricte continuité historique. Sa surface n'avait pas varié depuis la Révolution. Elle était d’un peu plus de 1 000 hectares. Sur la carte éditée par la mairie, elle avait toujours la forme allongée d'un gros volatile trempant son « bec de canard » sur les berges de la rivière Marne. Sa queue effilée resplendissait encore d’une belle couleur verte. C’était ce qui subsistait de la couverture boisée du plateau de Brie[2].

 

Ce vert résiduel était trompeur. Il n'était pas dominant comme au début du siècle. À l'évidence, Sucy n'était plus le gros bourg qu’il avait longtemps été. Ce n'était pas encore une vraie ville, et surtout pas une portion de banlieue anonyme noyée dans la vaste agglomération d’une capitale particulièrement envahissante.

 

D’ailleurs la carte de Sucy révélait bien d'autres taches vertes. Certaines se situaient à la périphérie, comme le Bois du Petit Val au sud, le Parc des sports du Petit Marais au nord, et le Parc départemental du Morbras à l’ouest. Lequel se prolongeait sous forme d’une belle coulée verte remontant, le long du ruisseau de la Fontaine de Villiers jusqu’au Parc municipal de la Garennière où elle se fondait dans le Bois des Bouleaux et le Bois Notre-Dame. Il y avait encore — c'était le fait le plus notable — quatre anciens châteaux et leurs vastes parcs qui avaient été édifiés, depuis le XVIIe siècle, en couronne sur les pentes du vieux village. Bien que privés de leurs châtelains, une fois les hauts murs tombés, ils avaient légué à la ville de grands et libres espaces boisés. Cela donnait encore au centre de Sucy une allure de campagne fort appréciée par les habitants.

 

Cela était d'autant plus marquant que la mégapole parisienne étendait déjà ses tentacules jusqu'aux portes de la commune. Du haut de ses soixante mètres de coteaux, Sucy surplombait désormais une vaste étendue sans caractère, rongée par les constructions et les installations industrielles ou commerçantes. Ce n'était plus le spectacle charmant, le coup d’œil agréable célébré trois siècles auparavant par un poète [3]:

 

 « Proh quanta ! Quam pulchra aspici

 

 

Le Marais abandonné à l’industrie

 

La ville de Sucy elle-même y avait sacrifié ses avancées. Au-delà des voies du Réseau express régional (RER) et sur les anciens marécages, de part et d’autre de la rue de Bonneuil, la grande usine de Verrerie, construite pendant la Première Guerre mondiale faisait face à la nouvelle zone d'activité dite des Portes de Sucy. Même si au

 

 

 

Le Marais industriel face à l’église de Sucy

 

La vue sur le magnifique clocher médiéval juché sur la falaise, soixante-dix mètres plus haut, résiste tant bien que mal à celle des hautes tours d’un dépôt de matériaux de construction dont les produits participaient au bétonnage déjà assez avancé de cette partie encore verte de la banlieue de Paris

 

 

 

Des rues ombragées dans le quartier du Petit Val

 

On descend du Centre ville vers la gare, par la rue très pentue qui porte le nom d’un ancien maire de Sucy, Albert Pleuvry (1947-1964). Vers la gauche, c’est l’avenue du Maréchal-Galliéni, l’un des artisans de la colonisation française avant de devenir celui de la victoire de la Marne en 1914. A droite, la station du RER est à cinq minutes à pied. Le mur de gauche correspond au parc du château du Petit Val, occupé à cette hauteur par une maison de retraite.

 

nord, le magnifique stade Paul Meyer, appartenant à la ville voisine de Saint-Maur, formait une assez belle et verte entrée dans la commune, il n'en était pas de même au sud. C’était une sorte de no man’s land où se rejoignaient les limites administratives séparant Sucy, Bonneuil et Boissy. On l’appelait sans doute pour cela le Triangle. Quelques entrepôts desservis par le Chemin du Marais y voisinaient avec des terrains en friche aussi profonds qu’inquiétants. Depuis vingt-cinq ans au moins, une partie de cet espace avait été réservée pour le futur prolongement d'une voie routière express remontant vers Ormesson selon un tracé à peu près défini. Pour le moment, c’était le réceptacle d’une vaste saignée bétonnée et nauséabonde dont le cours correspondait à l’ancien ru du Marais.

 

Le chemin de fer de Grande Ceinture coupait en deux cet ancien marécage. Le Chemin Vert, qui en longeait au sud les voies, desservait d’abord une zone artisanale tracée sur l'emplacement d'une vieille sablière. Ensuite sur une longueur englobant 13 hectares de terrain plat, s’alignaient les immenses établissements où l’on réparait et entretenait les rames du RER. Il s’agissait à l’origine des Ateliers de Boissy, du nom de la station terminale de la ligne. Mais une grande partie de ces installations ainsi que le centre administratif se trouvant sur le territoire de la commune, c’était finalement le nom d’Ateliers de Sucyqui leur avait été donné en 1997[4].

 

 

Le Sucy du bas et de la Côte

 

Le vrai Sucy, c'est-à-dire le Sucy habité, ne commençait vraiment qu'au-dessus de la voie ferrée desservant la commune. Sur tout un front parallèle à la voie ferrée et donc orienté nord-sud, les rues montaient, d'abord insensiblement puis durement, pour converger sur le vieux village juché au bord du plateau briard. Ce qui était dès l'abord surprenant, c'était la disparition des publicités tapageuses qui enlaidissaient à cette époque tant d’autres communes. Un règlement municipal, qui n'était pas demeuré tout à fait lettre morte, la prohibait dans certains secteurs et la rendait quasiment impossible dans la plupart des autres, faute d'emplacements adéquats[5].

 

Dépassés le quartier de la Gare, les pavillons du Poil Vert, ceux des Varennes et les immeubles collectifs des Noyers, c'était le Sucy des pavillons bourgeois. Ils avaient été construits sur des lots taillés, d'abord dans trois anciens domaines seigneuriaux, puis sur les vignobles de la côte. Les plus anciennes maisons avaient été bâties en bonnes pierres meulières dans des jardins d’agrément souvent assez vastes. De grands arbres, de la verdure bien entretenue, des rues souvent coquettes : tout cela donnait à ces quartiers une apparence généralement cossue, mais sans les excès d’un luxe clinquant.


 

 

Le Presbytère

 

Saisi par l'État après la loi de séparation de 1905, le presbytère avait été racheté en 1953 par une association diocésaine de Versailles, à condition de le maintenir  à perpétuité dans sa destination  de logement des ministres du culte et de ne le rétrocéder en tout ou en partie à quiconque, sinon à la Commune. Cette disposition a eu l'avantage de préserver le vaste jardin et de maintenir, face à la sortie de l'Eglise, dont l’ombre matinale se projette sur le sol,  un agréable horizon de verdure.

À droite, a été heureusement conservée l'une des premières fontaines publiques installées à Sucy en 1866. Elle est à ce moment en cours de restauration.

 

 

 

La rue Maurice-Berteaux un jour de marché

 

Ces trois lignes de grands immeubles, construits dans l’esprit des années soixante, prolongent le vaste espace du marché investi deux fois par semaine par les marchands, les chalands ...et les voitures. Elles ferment fâcheusement l’horizon  illimité et une vue encore assez belle sur l’agglomération parisienne. N’aperçoit-on pas le Sacré-Cœur de Paris en descendant la rue Maurice-Berteaux au fond à gauche !

 

Le Vieux Sucy conservé

 

Ce qui restait de l'ancien bourg n'était pas sans charme. Il était centré sur quatre rues à peu près perpendiculaires. Les rues du Moutier, de la Porte et du Temple étaient sensiblement ce qu'elles avaient toujours été, sinon dans le style du moins dans le dessin. Seule l'ancienne rue du Four s’était trouvée amputée au cours du XXe siècle d'un bon tiers de ses immeubles bâtis sur son coté est pour dégager une place devant ce qui était devenu, depuis sa miraculeuse restauration, le « Château de Sucy». Cette rue avait en outre perdu son nom pour honorer un jeune résistant communiste, fusillé en 1941 par l’armée allemande occupant à ce moment la France[6].

 

À la rue du Moutier faisait immédiatement suite la place de l'Église. C'est incontestablement sur ce lieu que le présent de Sucy s’était longtemps accroché à son passé. Tout y concourait. D'abord l'église avec sa haute toiture, sa façade, qui avait retrouvé trente ans plus tôt sa rusticité d'origine, et sauvegardé surtout son immuable et magnifique clocher roman. Les connaisseurs l’admiraient comme l’un des plus beaux de l'Île-de-France. En face, sur les premières pentes orientées à l’ouest et derrière le long mur fermant le vaste jardin du Presbytère, un rideau d’arbres conservait au parvis son allure campagnarde d’antan.

De l’autre coté de la place, il y avait encore la « Vacherie Blaser ». Vieille de deux cents ans, c’était la dernière exploitation agricole de Sucy[7]. Sans se faire d’illusions, on ne savait pas encore qu’elle vivait ses dernières années. Sur le terre-plein de l’Église et parallèlement à sa façade, avait été élevé en 1919 un sobre monument consacré au souvenir des Sucyciens morts depuis 1870 pour la Patrie. La liste s'était arrêtée en 1962, date correspondant à la fin de la guerre d'Algérie. Personne n'envisageait à ce moment que d'autres noms pussent jamais s'y ajouter.

 

Sur la face sud de l’église, entre deux maisons bourgeoises datant de la fin du XIXe siècle, un passage menait à la Cour de la Recette. C’était le cœur historique de la commune. Là se mêlaient, dans un cadre à peu près intact, les traces de la ferme des chanoines de Notre-Dame de Paris, anciens maîtres du terroir sucycien, avec les souvenirs liés à la Mairie École de la commune. Beaucoup de couples habitant à ce moment à Sucy y avaient appris à lire et à écrire puis s’y étaient mariés. L’école d’abord, puis la mairie, avaient déserté depuis longtemps ces lieux. Le long séjour des pompiers avait défiguré le haut bâtiment édifié pendant la Révolution par le dernier fermier du Chapitre, une fois qu’il en fut devenu propriétaire. Il ne demeurait des anciens temps qu’une très belle maison à colombages. C’était l’ancienne « grange dîmière » transformée en avenante et rustique maison médicale.


 

 

 

La Fosse Rouge et la Cité Verte vues du parc du Morbras

 

Elles sont très engageantes ces deux cités quand on les contemple de l’autre coté du Morbras qui coule au bas d’un beau vallon largement arboré, équipé et entretenu par le département du Val-de-Marne

 

 

 

 

 

Une rue du Plateau au printemps

 

Dans ce quartier dont le nom caractérise l’absence de relief, les rues sont droites et planes. Cela avait longtemps donné à ces lieux l’aspect trop courant d’une commune de banlieue. Avec le temps et l’aide de la municipalité qui a planté des arbres et soigné la voirie, le Plateau représente à cette époque un lieu de résidence agréable et fort prisé.

 


Le Sucy des hauts immeubles

 

A l'autre extrémité de la rue du Moutier, sur l'emplacement de la ferme de Pacy et de son colombier, dont seules de très rares cartes postales anciennes ont conservé l’image, le XXe siècle avait douloureusement anéanti une partie du passé sucycien. Sur une centaine de mètres de façade rectiligne, une double barre de béton, haute de six à neuf étages, masquait désormais l'horizon. Ces constructions des années soixante-dix étaient assez généralement considérées comme un fâcheux tribut payé à l’urbanisation. En compensation, les habitants de Sucy profitaient à leur pied d'un très beau marché couvert. L'un des plus attrayants de la région, disait-on.

 

La rue Maurice-Berteaux[8] assurait la séparation entre ce centre commercial et les vingt et une tours, chacune à dix étages, de la Cité Verte. Elles avaient été édifiées quarante ans plus tôt dans l'ancien parc du château de Berc. On pensait que l'architecte s'était inspiré des treize palais tours, aussi hauts et colorés que sévères, édifiés au Moyen Âge à San Gimignano, près de Sienne en Toscane[9].. Tous ces immeubles conçus sur plans carrés, qui ne se distinguaient que par les couleurs mais qui cernaient un parc n’ayant pas perdu l’essentiel de sa couverture boisée, formaient un ensemble considéré, sous certains de ses aspects, comme très harmonieux.

 

En redescendant à mi-pente vers la vallée du Morbras, on pénétrait dans une autre cité d’habitation. Elle avait pris le nom anciennement donné aux prairies de ce lieu- dit : la Fosse Rouge[10]. Les espaces verts avaient été moins bien préservés. Mais, ainsi que le soulignait le Guide municipal, « il suffit de passer le pont construit entre Sucy et Ormesson pour se retrouver dans le parc départemental très beau, à deux pas de chez soi. » Cet avantage n'était plus aussi évident pour ceux qui habitaient, au-dessus de la Fosse Rouge, les deux tours du Rond d 0r, les quatre tours des Monrois, ainsi que les immeubles de la résidence des Jardins de Sucy.

 

Le Sucy des pavillons individuels

 

Un peu plus haut encore, et c'était le quartier du Fort. Le Fort ? Bien qu'il eût été construit entre 1879 et 1881 au point le plus élevé de la commune, on ne le voyait plus. Ses superstructures édifiées en pierres de taille sur neuf hectares de bonnes terres avaient disparu, avalées par la nature. Ce n'était plus, à la cote des cent mètres, qu'une masse verte qui servait de toile de fond à une harmonieuse réalisation urbaine. Entre la Coulée Verte bordant le ruisseau de la Fontaine de Villiers et l'avenue du Fort encerclant le sommet du plateau, de petites rues gracieusement circulaires desservaient de beaux pavillons aux formes et au confort très appréciés à cette époque.


 

 

 

Le centre commercial du quartier du Fort

 

A gauche, l’avenue Charles-de-Gaulle qui mène au centre-ville croise l’avenue demi-circulaire contournant le fort de Sucy. En face, un large espace de verdure, correspondant à l’ancienne zone militaire non aedificandi, précède le rideau d’arbres qui a peu à peu absorbé les installations guerrières.

 

 

 

Entre le Bois des Tilleuls et le quartier des Bruyères

 

La rue du Tilleul longeant le Parc des sports forme ici avec la rue Dauphine un carrefour champêtre somptueusement fleuri. Tout au fond, c’est le Bois des Bouleaux. A droite, la rue Royale, dont le nom rappelle les anciennes chasses à courre, mène vers le nouveau quartier pavillonnaire édifié dans les années quatre-vingts et assurant une liaison avec les Bruyères.

 

Quelques immeubles de faible hauteur avaient permis de densifier sans excès cet espace d’habitat. On a cru pouvoir écrire que « l'urbanisme y avait été pensé à l'échelle humaine »[11].

 

De l'autre côté de la très large avenue Charles-de-Gaulle et de sa double rangée de pins parasols qui lui prêtaient un peu l'aspect de la rocade d’une florissante cité balnéaire, c'était le quartier du Plateau[12]. Depuis les années trente, des propriétaires y avaient construit, dans des conditions parfois difficiles, des pavillons au milieu des vergers et des jardins potagers. Ce qui en subsistait n'était pas sans charme. La seconde après-guerre y avait ajouté deux réalisations : les immeubles collectifs de la cité de la Procession et les bâtiments de la résidence des Trois Épis.

 

L'agglomération semblait finir ici, sur les bords de la route joignant Boissy-Saint-Léger à la route nationale n°4. Cette voie départementale coupait de part en part le territoire de la commune de Sucy à sa partie la plus étroite. On l’appelait tout simplement la route de La Queue-en-Brie. Au-delà commençaient les bois. C'est dans l'un d'eux, le Bois des Tilleuls, qu’avait été réalisé entre 1968 et 1988 le Parc de Sucy: 47 hectares d'installations sportives, d'aires de jeux et de loisirs, noyés dans la verdure.

 

Après avoir traversé ce parc, magnifique espace ouvert dont il était légitime de penser à cette époque qu’il était la "fierté" de Sucy, on pénétrait dans une sorte de coquette cité résidentielle perdue au milieu des bois : les Bruyères. Cet îlot, situé à trois ou quatre kilomètres de la gare de Sucy comme de celle de Boissy, longtemps sans eau, sans électricité et sans transports, avait été dans l'entre-deux guerres et même quelques années après, l’un des hauts lieux du lotissement héroïque. C'était maintenant un quartier sympathique et recherché[13].

 

Immédiatement après les Bruyères commençait la Forêt domaniale de Notre-Dame. Sur 9 km dans sa plus grande longueur, et 5 km sur la largeur, c’était plus de 2 000 hectares que l’État français avait arrachés — il y avait moins de 25 ans — à la voracité des promoteurs immobiliers. Les autorités les avaient totalement fermés à la circulation automobile. Au-delà on débouchait dans la belle campagne briarde, sur le territoire de deux communes au charme rural encore bien préservé : Santeny à la frontière du Val-de-Marne et Lésigny demeuré en Seine-et-Marne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur le bord du chemin de grande randonnée n° 14, à Lésigny, entre le haras de la Bourbonderie et la Grande Romaine, ainsi apparaît au loin la forêt domaniale  de Notre-Dame. On se trouve  à peu près à 6 km à vol d'oiseau des Bruyères et à 9 km du clocher deSaint-Martin.


 

 

 

 

 

 

 

Deux des vingt et une tours de la Cité Verte

 

Entre 1958 et 1961 , la Société civile immobilière de la Caisse des dépôts a fait construire sur le domaine du château de Sucy, par les architectes Lopez et Zavaroni,  vingt et une tours de dix étages.

Les bâtiments ont été intelligemment implantés à la périphérie du parc. Les grands arbres ont été conservés ; des pelouses et des aires de jeu ont été aménagées sur le terrain en pente. L'ensemble est généralement considéré par les urbanistes comme l’une des réussites de la région parisienne

 

 

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LES HABITANTS

 

 

C

et espace, somme toute bien partagé, était essentiellement un cadre de vie. Combien à ce moment étaient-ils d'habitants, que la tradition familiale, le choix réfléchi ou les hasards de la vie avaient conduits à résider en ces lieux ? Au début du siècle, ils se comptaient seulement 1 500. Quelques années après la guerre de 1914, cette petite population villageoise avait déjà doublé. Une nouvelle multiplication par deux était apparue en 1931 avec 6 113 habitants recensés. Le mouvement s’était ensuite interrompu. Pendant un quart de siècle, les effets combinés de la crise économique, de la stagnation démographique et des événements de guerre, ont maintenu les chiffres de la population à un niveau fluctuant entre 6 000 et 7 000 personnes. Cela a duré jusqu’à la fin des années cinquante.

 

A partir de septembre 1960, l’emménagement des premiers locataires dans les 840 logements de la Cité Verte avait donné le branle à une nouvelle ère. Au recensement de 1962, le chiffre de 13 000 habitants était atteint. Au recensement de 1990, en frôlant les 26 000 âmes, ce nombre avait un peu plus que doublé. C'était la quatrième fois depuis 1900. Neuf ans plus tard, le dernier recensement avait fait apparaître, pour la première fois, une baisse sensible de la population ramenée à 24 819 habitants ! [14]

 

 

Les mouvements de population

 

On a pu s'étonner de cette assez brutale stabilisation, alors que les communes voisines avaient au contraire continué à se densifier. Il fallait sans doute y voir l'un des résultats d'une politique municipale prudente visant à bloquer l’édification de grands ensembles, tout en imposant aux constructeurs de maisons particulières de ne bâtir que sur des terrains d’une surface relativement importante[15]. Selon d'autres opinions, c'était la charge fiscale générée par de trop lourds investissements municipaux qui aurait rebuté, non seulement le maintien sur place, mais aussi l'installation d'une jeune population ne disposant pas de revenus suffisants.

 

Des chercheurs ont noté à l'époque que ce brutal coup de frein démographique était prévisible[16]. Ils en faisaient remonter l’origine aux premières affectations de logements dans la Cité Verte au début de la décennie 1960. N’avait-on pas, à ce moment, privilégié l'installation de cadres d'entreprise ou de la fonction publique, particulièrement de ceux affectés dans des administrations parisiennes ou travaillant sur l'aérodrome voisin d'Orly ! Ce sont ces nouveaux électeurs qui avaient peut-être facilité en 1964 l'arrivée d'un jeune maire de droite dans une municipalité dirigée à l'origine par


 

 

 

Sur les lisières de la Forêt de Notre-Dame

 

La forêt débouche ici sur les belles terres cultivées de la commune voisine de Noiseau.

Au loin, dans le nord-est et à quatre kilomètres de là, encore immobiles mais menaçantes,

les tours de Bois l’Abbé se profilent à l’horizon.

On se trouve exactement à la sortie de l’Allée des Soupirs !

 

 

 

Une maison de retraite au Petit-Val

 

La Résidence des Cèdres est l’une des quatre Maisons de retraite ou Foyer logement installés sur le territoire de la commune de Sucy. Elle a été réalisée en 1977 sur un plan circulaire permettant à ses 58 occupants de profiter d’une vue sur le parc privé et boisé de l’ancien domaine du Petit-Val.


une coalition plutôt centrée à gauche. L'ouverture de nouveaux logements collectifs à la Fosse Rouge dont une partie était réservée pour l'accession à la propriété, n’avait pas sensiblement modifié cette première orientation. Le nouveau maire aurait-il eu intérêt à inverser ce mouvement et à faciliter l’établissement massif de grands ensembles immobiliers qui aurait pu quadrupler la population et faire de sa commune une ville nouvelle de 50 000 habitants ? C'était encore possible et soutenu par beaucoup de gens à l'époque. Par la suite, il s'était lui-même opposé vigoureusement à de tels projets qui auraient pu contribuer à défigurer le site tout en modifiant son assise électorale. Il a plutôt privilégié la construction, soit de petits immeubles collectifs destinés à la vente par appartements, soit de maisons individuelles.

 

Ces logements ont souvent été acquis par des habitants de la Cité Verte ou de la Fosse Rouge désireux de devenir propriétaires ou de se loger dans des pavillons avec jardins. Les locaux ainsi libérés ont été remis en location par les sociétés gestionnaires de ces immeubles ;— construits avec des aides publiques — à des personnes arrivées depuis peu en France et logées jusque là précairement dans la région parisienne. La commune de Sucy y avait au moins trouvé un avantage : celui d’échapper de justesse, mais provisoirement, à la forte taxation imposée en 2000 par le gouvernement socialiste de l’époque[17]. Elle pouvait en effet se targuer d'un nombre non négligeable de logements sociaux : 19,64 %. ! Plus qu'Ormesson (0 %) et Saint-Maur (5,47 %), ou même Noiseau (6,72 %), mais évidemment beaucoup moins que les communes voisines de Bonneuil (67 %) ou même de Boissy-Saint-Léger (37 %)[18].

 

Il n'en apparaissait pas moins que cette arrivée d'une population assez nombreuse, souvent étrangère[19], avec des enfants jeunes s'intégrant difficilement, semble avoir posé, ici comme ailleurs, un certain nombre de problèmes. À ce moment de l'histoire ils n'étaient pas vraiment réglés. D'accord sur le diagnostic, les « partenaires sociaux » comme on disait alors, divergeaient sur les remèdes. Heureusement, la violence qu'on déplorait parfois à Sucy n'avait encore rien à voir avec ce qui se passait alentour, notamment dans un quartier difficile dénommé Bois l’Abbé entre Chennevières et Champigny, pour ne citer que ces deux communes voisines.

 

Bien que des dispositions eussent été prises au niveau national pour ne pas faire de discriminations sur l'origine ethnique des habitants, on savait cependant qu'un tiers de ceux qui résidaient Sucy en 1999, s'y étaient installés entre les deux recensements, c'est-à-dire au cours des dix dernières années. C'était beaucoup pour une ville qui avait déjà perdu, durant la même période, plus d'un millier de ses ressortissants. Parmi les nouveaux Sucyciens, 6 333 résidaient précédemment dans la région parisienne, 440 venaient de l'étranger et 90 avaient quitté des territoires d'outre-mer.

 

 

Le vieillissement

 

Le résultat de tout recensement, c'est la représentation des âges en forme de pyramide. De même qu’en 1911, celle de Sucy apparaissait sous la forme d'une meule de paille ou d'un as de pique, avec cependant une base encore plus resserrée que précédemment. Au début du XXe siècle, les jeunes de vingt ans et moins formaient à eux seuls le tiers de la population. C’était déjà le signe d’une démographie en déclin. Ils n'en représentaient plus que le quart à la fin du siècle ! Ce laminage des tranches d'âge s'était d'autant plus accentué qu'en 1999 il y avait, pour la première fois, moins de jeunes enfants de 0 à 9 ans (11,7 %) que d'adolescents, filles ou garçons, entre 10 et 19 ans (13,9 %). Le contraste se manifestait encore plus nettement au milieu de la pyramide. Alors que les jeunes adultes entre 20 et 40 ans correspondaient presque à la moitié de la population en 1911, 88 ans plus tard ils n'en composaient plus que le quart. Ils s’étaient encore comptés 30 % dix ans plus tôt. En 1911, trois Sucyciens sur quatre étaient âgés de moins de 40 ans ; ils n'étaient plus qu'un sur deux en 1999. La moitié la plus âgée se partageait entre hommes et femmes de 40 à 59 ans (30,4 %), 60 à 74 ans (12 %) et plus de 75 ans (5,7 %), dont six centenaires, seulement des dames.

 

Le vieillissement de la population, déjà décelé en 1911, atténué au cours des années qui avaient suivi immédiatement les deux guerres mondiales, s'était dangereusement amplifié. C'était un phénomène qui n'était pas seulement sucycien. Il commençait à inquiéter sérieusement la génération qui s'approchait de l’âge de la retraite et qui craignait à juste titre d'en subir de plein fouet les conséquences. Pour ne s'en tenir qu'à Sucy, certains prétendaient que le processus s'était trouvé accentué non seulement par l'effet d'une fiscalité locale assez lourde déjà évoquée, mais aussi de la construction systématique de logements en accession à la propriété. Ce qui aurait pu dissuader beaucoup de jeunes couples d'y rester ou de s'y installer. Quant à leurs parents, ils n'avaient aucune raison de s’en aller. Pas plus que ceux de la même génération venus sur le tard et qui avaient trouvé à Sucy un lieu paisible pour y vivre le reste de leur temps. Ils y demeuraient d'autant plus longuement que l'environnement n’était pas déplaisant et qu'ils pouvaient profiter sur place des progrès d'une médecine, depuis longtemps accessible à tous.

 

 

Pyramide des âges à Sucy en 1999

 

 

L’activité

 

Qui étaient et que faisaient ces Sucyciens de tous âges ? On peut assez facilement concevoir quelle était la vie et ce que pouvaient être les occupations des jeunes gens et des jeunes filles, qu'ils fussent écoliers, lycéens ou étudiants. Il est possible aussi de se représenter, avec toutes les nuances envisageables, l'emploi du temps des personnes en position de retraite. Mais il est plus hasardeux de chercher à décrire l'activité journalière et le genre d'existence de la douzaine de milliers de Sucyciens recensés en 1999 comme actifs. De même qu'il serait déraisonnable de vouloir dégager les contours d'un Sucycien moyen. Surtout si l'on retient qu'il a été recensé en 1999 un bon millier de chômeurs dans la commune, soit 9 % de la population en état de travailler, et qu'une centaine de familles étaient considérées comme « très pauvres » car vivant avec moins de 2 000 F par personne[20].

 

Parmi ceux ayant une activité productive, 20 % seulement occupaient un emploi assez proche de chez eux. La plupart des autres travaillaient dans la région parisienne. Ils exerçaient des métiers extrêmement différents. Hormis l'agriculture qui, même avec sa cousine l'horticulture, totalisaient à elles deux 3 % seulement des métiers représentés, les recenseurs avaient regroupé les actifs dans cinq grandes catégories : les ouvriers (17 %), les employés (28,5 %), les professions intermédiaires (24,5 %), les cadres supérieurs (22 %), les commerçants, artisans et chefs d'entreprise (7 %). C'est l'importance prise par les quatre dernières catégories qui permet d'esquisser le profil de l’habitant de Sucy en cette fin du XXe siècle. Mais il faut noter aussi la place prise par le travail féminin. À peu près quatre femmes sur cinq — un peu plus dans la tranche supérieure à quarante ans, un peu moins parmi les plus jeunes — avaient une activité rémunératrice. C'était quasiment une nécessité imposée aux femmes célibataires et aux mères isolées, maintenant très nombreuses. C'était certainement, pour beaucoup de couples, le seul moyen de maintenir un train de vie à hauteur du coût des produits et services journaliers, et de satisfaire toutes sortes de besoins nouveaux suscités par une publicité agressive. C'était aussi l'expression d'un nouvel état d'esprit, d'ailleurs peu favorable à une évolution harmonieuse des familles et expliquant dans une certaine mesure le glissement démographique.

 

 

Les ateliers de la RATP à Sucy

 

En juin 1966, la Régie autonome des transports parisiens avait pris possession sur les anciens marais d’un immense terrain acheté au propriétaire du château du Piple. Bien que 93 % de ces 17 ha fussent situés dans la commune voisine de Boissy, la partie la plus visible comprenant bureaux et ateliers empiétait sur le territoire de Sucy. L’ensemble a donc pris depuis peu le nom d’ « Ateliers de Sucy ».On y fait à la fois le dépannage, la maintenance et la révision des rames du RER. A la fin du siècle, 480 personnes y étaient employées.


 

 

 

 

 

 

 

La rue du Moutier

 

Située en bordure du trapèze historique autour duquel s’était jadis formé le centre ville,

menant tout droit à l’église paroissiale bien visible dans son axe,

 la rue du Moutier a toujours été et est encore la rue commerçante par excellence.



[1] AM, Sucy Info, n° 192, décembre 2001, page 192.

[2] Guide municipal de l’année 2001, carte annexée.

[3] Pierre de VILLIERS « Rus Suciacum », 1712 , reproduit dans « Le château de Sucy et son histoire », SHAS, 1984, page 35, et traduit en français dans le chapitre préliminaire de cet ouvrage « Ici de loin offre à la vue un spectacle toujours charmant ».

[4] AM, Sucy Info, n° 169

[5] AM, Sucy info, n° 145, mars 1993,  « A bas les panneaux », et n° 161, septembre/octobre 1995, « Cent vingt panneaux déposés en cinq ans ».

[6].Il s’agissait de Guy Moquet, orthographié à Sucy « Mocquet », fils d’un député communiste de Paris et exécuté, alors qu’il avait dix-sept ans, avec 26 autres personnes internées à Châteaubriant, en représailles de l’assassinat, le 20 octobre 1941, du colonel allemand commandant la place de Nantes

[7] AM, Sucy info, n° 132, juin 1991, page 16.

[8] Maurice BERTEAUX était le fils d’Alphonse BERTEAUX, ancien propriétaire du château du Grand-Val et maire de Sucy de 1878 à 1881. Ministre de la Guerre, il avait été tué accidentellement le 21 mai 1911 à Issy-les-Moulineaux, par un avion qui s’était abattu sur le groupe de personnalités assistant au départ de la course aérienne Paris-Madrid.

[9] AM, Entretien de Georges CARROT le 8septembre 2000, avec Jean-Marie POIRIER, à ce moment sénateur et maire de Sucy depuis 1964.

[10] AM, Sucy info, n° 169, juillet 1997. Le qualificatif de rouge se référait, non au sang répandu lors de terribles massacres qui auraient pu être perpétrés jadis sur ces lieux, mais au rouge de l’oxyde de fer colorant la terre.

[11] Guide municipal 2000, carte annexée « En parcourant Sucy ».

[12] AM, Sucy info, n° 154, juin/juillet 1994.

[13] AM, Sucy info, n° 158, mars 1995.

[14] Georges CARROT (sous la direction de), Nouvelle Histoire de Sucy-en-Brie, tome IV, Le XXe siècle, 512 pages

[15] Cette obligation de respecter un rapport minimum entre la surface du terrain bâti et celle de l’habitation était générale. Mais le taux, donc la rigueur, du coefficient d'occupation des sols (en abrégé COS) variait en fonction de secteurs prédéfinis figurant sur le plan d’occupation des sols (en abrégé POS). Ce plan et ces taux, souvent remaniés, étaient préparés par le Maire et approuvés après discussion par le Conseil municipal

[16] Voir notamment AM, Virginie THOMAS, Les politiques d'aménagement et d'urbanisme de la ville de Sucy-en-Brie depuis des années 1950, Mémoire de Maîtrise, 1994, 123 pages.

[17] La loi « Solidarité, Renouvellement et Urbanisme » du 13 décembre 2000.

[18] Le logement social du Val-de-Marne, 1999, édité par le Conseil général. Avec un parc de 1 832 logements sociaux pour en parc total de 9 150 logements, Sucy occupait dans le département le 32e rang sur 47.

[19] Selon les statistiques du recensement de 1999, sur 24 819 personnes recensées, 86 % étaient des Français de par leur naissance sur le sol de la République, et 6,2 % avaient été naturalisés. Parmi les Étrangers, 4% étaient des ressortissants de l'Union européenne, la plupart Portugais (3,6 %) ; 4 % venaient de l'Afrique du nord ou de la Turquie. Les résultats publiés ne précisaient pas l'origine d'un reliquat de 493 autres résidents étrangers représentant 2,4 % de la population sucycienne.

[20] A M, Sucy Info, n° 181, octobre 1999, document établi par le Centre communal d'action sociale (CCAS), page 20.