L’ORIGINALITÉ DE SUCY

 

 

 

T

out cela était appréciable et apprécié. Mais ce qui donnait aux Sucycien la sensation plus ou moins consciente de ne pas être les habitants lambda d’une commune banale, d’une banlieue sans âme, c'était encore bien d'autres choses. C'était fait à la fois d'avantages concrets et de sentiments imprécis.

 

 

La diversité des installations sportives et culturelles

 

Dans le tangible, Sucy n'était pas en peine de réalisations originales. Le magnifique Parc omnisports ouvert gratuitement à tous, n'était pas la moindre. On estimait à plus de 160 000 les personnes qui venaient y jouer chaque année sur trois terrains de football dont deux gazonnés, sur deux terrains de rugby et sur treize courts de tennis dont deux couverts ; qui s'entraînaient sur la piste d'athlétisme ; qui couraient ou tout simplement se promenaient dans les 47 hectares d'espaces verts et de plaines de jeu. Un « Skate Park »venait d'y être récemment installé[1].

 

Si ce parc des sports était le plus grand de Sucy, ce n'était pas pour autant le seul endroit où l'on ait pu s’entraîner ou se détendre. Il y avait aussi une aire sportive à la Fosse Rouge et une autre aux Noyers avec une piste de bicross[2], quatre gymnases à Montaleau, au Piple, au Plateau et au Fort. Sans oublier, au Fort également, une salle de judo, un stand de tir et une piscine moderne avec bassin d’hiver et bassin d’été.

 

On ne prenait pas seulement soin des corps à Sucy. L'esprit aussi pouvait s'y cultiver. C'est dans cet objectif que la belle ferme briarde du Grand Val s'était métamorphosée en Centre culturel de grande envergure et de bon renom[3]. La population, et surtout les 1 400 adhérents qui participaient à ses activités, y disposaient d'installations et aussi d’instructeurs ou de professeurs pour se former ou se perfectionner en reliure, en poterie, en émail, en gravure, en dessin et peinture, en photographie et en musique, etc. L’anglais, l’allemand, l’espagnol et même l’apprentissage de la langue française faisaient partie des programmes. Trois professeurs enseignaient la discipline corporelle et spirituelle du Yoga. Les membres de clubs d’échecs, de bridge, de scrabble, de bridge, de lecture, y trouvaient à la fois des animateurs et des locaux. On pouvait en plus y participer à des jeux de rôle, s’entraîner au mime, tenir sa place dans un atelier théâtre ou un atelier d’improvisation. Une  salle de  spectacle  ou  de cinéma

 

 

 

 

L’Orangerie entre tour et château

 

L'Orangerie bâtie la fin du XVIIe siècle, sauvée récemment d’une destruction programmée, a été totalement restaurée. Si son classicisme complète bien la façade du château à droite, le contraste est par contre étonnant avec la tour n° 1 de la Cité Verte. On aperçoit, devant l'entrée de cette annexe du Centre culturel, un groupe de tout jeunes enfants initiés par leurs maîtres aux futurs plaisirs de la découverte et de la connaissance...

 

 

 

Le stade de Sucy

 

Comme toutes les cités de quelque importance, Sucy se devait d‘avoir un vrai Stade. Cela fut réalisé, dès les années 70, dans le cadre de l’aménagement du Parc omnisports. Avant, il n’y avait rien ... ou presque. Les jeunes générations sont-elles conscientes de ce qu’elles doivent à celles qui les ont  précédées ici ?

 

 

d'une capacité de 100 places couronnait ce « complexe culturel » aussi exemplaire qu’original.

 

C'était moins grand mais plus sympathique que la Salle des fêtes vieillissante dont la reconstruction était programmée. Mais il y avait aussi l'Orangerie du Château de Sucy[4], magnifiquement restaurée en 1989 afin d'en faire sur 160 m² un lieu prestigieux pour les concerts et les expositions. La Métairie qui appartenait jadis aux communs du même château, avait été transformée en Musée d’histoire et des traditions locales. Un peu plus loin, un autre bâtiment seigneurial, celui de Montaleau, abritait les activités du Conservatoire municipal de musique et d'art dramatique. Juste en face, sur le bord du parc de Montaleau, les bâtiments de l’ancienne poste avaient été transformés récemment en une très moderne Médiathèque. Même si tous Sucyciens n’utilisaient pas ce patrimoine culturel, il en était peu pour le critiquer ou le rejeter.

 

 

Participation et animation

 

D'ailleurs ces installations sportives et ces lieux de culture eussent bientôt disparu s'ils n'avaient pas été largement utilisés par la population. C'était aussi l'une des caractéristiques de cette commune. On ne faisait pas qu'habiter Sucy. On y vivait en société. Ce qui supposait la participation à quantité d'activités bénévoles. Le guide 2001 de Sucy enregistrait 180 associations amicales, clubs, compagnies, cercles, unions, comités, groupements, oeuvres, organisations, sociétés, etc. La Solidarité y tenait évidemment une grande place puisqu'elle représentait presque la moitié des actions engagées, surtout si on y englobe les diverses amicales d’anciens combattants et les sociétés d’entraide. Sous la rubrique de la Culture, 39 associations étaient répertoriées. Cela allait de la Société historique et archéologique de Sucy (SHAS) à la troupe théâtrale des Baladins en passant par bien d'autres centres d'intérêts intellectuels, artistiques ou ludiques : la musique, le chant chorale, la mycologie, la philatélie, le patrimoine, la danse, le cirque, etc.

 

L’activité sportive n’était pas en reste. En coordination avec l’Office municipal des sports, 31 clubs facilitaient à 6 000 licenciés la pratique de 26 disciplines aussi diverses que les arts martiaux, l’escrime, la pétanque, le tir, le triathlon, le karting, le cheval, le judo, l’haltérophilie, le vélo, la moto, et bien sûr le football — sport-roi à cette époque —, le rugby et le tennis. Le Service municipal des sports, non seulement gérait l’ensemble des installations sportives de la ville, mais il s’efforçait de faciliter l’organisation de manifestations et de favoriser la découverte et la pratique du sport au plus grand nombre[5].

 

 

La fidélité aux traditions

 

Rangé dans le Guide parmi les associations culturelles, le Comité des fêtes et d'animation de Sucy (COFAS), organisme quasi officiel présidé par un adjoint au

 

 

 

La « Brocante » de Sucy

 

Un beau dimanche de la mi-septembre, Monsieur le maire Jean-Marie Poirier visite sa ville en fête. Dans cette foule paisible et contente, tout le monde sourit. Le seul souci du jour est de vendre au meilleur prix des objet dont on veut se débarrasser, ou d'en acquérir d’autres, intéressants certes,

 mais pas forcément nécessaires.

 

 

 

 

 

L’Église Saint-Martin en 1997

 

Cette reproduction de l'immuable église de Sucy serait difficile à dater si le panneau n'indiquait :

"12e journées mondiales de la jeunesse - Paris 1997". À cette occasion, Sucy avait hébergé des groupes de jeunes catholiques venant d'Europe centrale.

 


maire, s'attachait lui aussi à faire de Sucy une ville ayant sa personnalité propre. Dans un monde ayant tendance à tout uniformiser, beaucoup de communautés humaines cherchaient les moyens de se distinguer des autres, de marquer quelques différences mélioratives. Remettre au goût du jour un passé balayé par les progrès techniques, mais cher encore dans les mémoires des hommes et des femmes de ce temps, avec ses traditions, ses coutumes, ses métiers, correspondait à une aspiration assez répandue. Sucy n’y avait pas échappé. Les deux fêtes annuelles les plus significatives étaient programmées, suivant un usage établi au XVIe siècle, durant la deuxième quinzaine de septembre. Cela correspondait à peu près aux dates fixées depuis 1842, c’est à dire le 14 septembre pour la foire aux bestiaux et le dimanche suivant pour la fête du pays.

 

Il avait fallu cependant aménager ce calendrier pour tenir compte de l’évolution de la population. Les activités avaient changé. Il n’était plus question d’acheter des porcelets à engraisser. En revanche, il y avait de plus en plus de maisons à meubler ou à embellir. Or, c’était en fin de semaine que l’on allait chiner en famille. D’où la date du premier dimanche suivant le 14 septembre qui était désormais retenue pour l’organisation de cette foire franche, devenue depuis 1980 un étonnant marché aux occasions. La Brocante de Sucy était l'une des plus importantes de la région. Avant même que le soleil ne fût levé, 800 vendeurs installaient leurs tréteaux. Dès le matin et jusqu’au soir, la foule des chalands – 40 000 personnes paraît-il - prenait possession de tout le centre de Sucy, animé en permanence par de pittoresques groupes musicaux ambulants[6].

 

Le dimanche d’après brocante, une nouvelle habitude avait pris corps. La fête du pays s’était transformée en Fête des associations. Ce jour-là, elles étaient une centaine qui installaient des stands sur le terrain boisé de la Garennière, dans le nouveau quartier du Fort. Des attractions correspondant à diverses activités associatives y étaient organisées. Les commerçants de Sucy se regroupaient pour préparer un déjeuner champêtre à prix honnêtes. On était entre soi, entre habitants de Sucy, ou presque. Et l'ambiance était merveilleuse, surtout si le temps s'y mettait.

 

 

La persistance du religieux

 

Quoiqu’on ait pu penser de ces temps plus portés aux valeurs matérielles qu’aux spirituelles, le religieux avait quand même gardé sa part. Avant de devenir une commune, Sucy avait été une paroisse. Elle l’était encore à ce moment de l’histoire où l’on était porté à commémorer deux mille ans de christianisme. L’église paroissiale se maintenait comme le haut lieu inévitable d’une sociabilité citadine assez proche encore de l’héritage villageois.

 

Depuis son érection par les chanoines de Notre Dame de Paris, à une époque où la tradition romane s’effaçait pour laisser place au nouvel art gothique, l’édifice avait traversé un peu plus de huit siècles sans rien perdre de sa massive harmonie. Après les vicissitudes de la Révolution, les municipalités successives en avaient assuré tant bien que mal l’entretien[7]. Le maire, qui était en place depuis 1964, avait eu le mérite de faire rétablir la façade superbement campagnarde, qu’un architecte adepte du néo-gothique avait fâcheusement défigurée au début du siècle.

 

En dépit cette immuabilité apparente, bien des choses avaient pourtant changé. Le très fameux concile de Vatican II avait bouleversé le fond comme les formes du culte. Le Maître-autel  placé au  fond  du chœur  était passé  par pertes et  profits. La  messe  se

 

 

 

 

Le Centre Paroissial

 

Transféré assez récemment de la rue de la Porte à la place de l’Église, l’ensemble paroissial de Sucy-Noiseau a pris racine dans cette ancienne maison bourgeoise. Le soleil levant d’une belle matinée de printemps la met particulièrement en valeur.

Le passage, surplombé par de disgracieux fils électriques, mène à la cour de la Recette. Ce lieu historique, délaissé depuis une quarantaine d’années par la Mairie, vient de perdre ses Pompiers. On aperçoit à gauche la Grange dîmière où l’ancien chapitre de Notre-Dame de Paris entreposait la part des récoltes lui revenant. Conservée et restaurée, elle a été transformée en une jolie Maison Médicale.

 

 

Les trois chapelles de Sucy

 

Les catholiques habitant l'ouest de Sucy peuvent se rendre à la chapelle Sainte-Jeanne de Chantal élevée au début des années 30 par le fameux chanoine Weiss. Ceux du Plateau ou du quartier du Fort ont à leur disposition la moderne, élégante et pratique chapelle Sainte-Bernadette. Aux Bruyères, il y a une troisième chapelle, la plus modeste, placée sous la protection de Notre-Dame des Bois.

 

célébrait face aux assistants. La grande chaire, du haut de laquelle le chanoine Weiss[8] avait témoigné, durant l’Entre-deux-guerres et quelques années après, de sa foi profonde et vigoureuse, ne dominait plus les chaises alignées dans la nef. Elle avait été débitée pour servir de pupitre aux célébrants et aux lecteurs.

 

L'assemblée des fidèles ne s'en était pas pour autant renforcée, surtout au regard d’une population passée de 6 000 à 25 000 âmes. Le père Gérard Seitz, curé de Sucy, l’avait mélancoliquement reconnu dans sa présentation du Guide paroissial pour l’année 2001 :

« Les gens ne se comportent plus de la même manière ; moins de recueillement, plus de convivialité, moins de solennité, plus de spontanéité Et aussi moins de jeunes le dimanche...et moins de monde...  et moins de prêtres. »

 

S’interrogeait-on sur les causes ayant produit de tels effets, lourds à terme de graves conséquences ? De cette situation nouvelle, le père Seitz voulait seulement retenir l’aspect positif. Moins de prêtres, certes « mais plus de personnes à la tâche...plus de réalisations dynamiques par les enfants et les jeunes...plus d’activités caritatives, bibliques, liturgiques...Le monde a changé, l’Église aussi. Que sera demain ? A chaque jour suffit sa peine, à chaque année aussi. »

 

Effectivement, l'essentiel tenait « encore ». Sur la place de l’Église, le Centre paroissial se trouvait animé par plusieurs équipes de dévoués bénévoles. Ils oeuvraient dans une cinquantaine d’activités : Équipe d’animation pastorale, équipes Notre-Dame, équipes liturgiques, accompagnement des familles en deuil, rédaction et diffusion du journal paroissial « Regards », catéchèse et aumônerie, amitié judéo-chrétienne, chorale Saint Martin, etc. La Société d’éducation populaire, que le curé Weiss avait lancée en 1924 pour « l’éducation intellectuelle, morale, artistique et physique des jeunes gens et jeunes filles » avait résisté, au moins nominalement, à la guerre, à l’occupation et aux bouleversements culturels de la seconde moitié du XXe siècle. En 2001 sa vocation était encore d’aider les mouvements et initiatives de jeunes, de susciter des occasions de fête et aussi de rassembler... les ressources nécessaires pour entretenir les locaux paroissiaux[9].

 

Le curé de la paroisse de Sucy-Noiseau était en même temps le responsable d’un secteur pastoral dépendant du diocèse de Créteil et englobant les paroisses de Chennevières et d’Ormesson. A partir du presbytère et de ses 1 100 m2 de terrain joliment arboré, rachetés en 1953 à la commune par une association diocésaine, les pères Seitz et Le Nail aidés d’un prêtre retraité, desservaient régulièrement et une fois au moins par semaine la petite église Saint-Philippe et Saint-Jacques de Noiseau, ainsi que les chapelles Sainte-Jeanne de Chantal dans le quartier du Grand-Val, Sainte-Bernadette sur le Plateau et Notre-Dame des Bois aux Bruyères[10]

 

Ces lieux du culte excentrés n’avaient pas tout à fait dépossédé l’église Saint-Martin de son rôle ancestral d’église paroissiale. A la différence de nombreux lieux du culte, fermés jour et nuit pour échapper au pillage de ce qui leur restait d’œuvres d’art ou des modestes sommes glissées dans les troncs, ce bâtiment classé monument historique demeurait ouvert, aux croyants comme aux visiteurs, chaque jour de huit heures du matin à sept heures et demi du soir. La messe y était dite trois fois par semaine et chaque dimanche matin à onze heures.


 

 

 

Les Fonts baptismaux et le vitrail de Saint-Martin

 

Les fonts baptismaux d’origine sont revenus en 1997, après un passage par le jardin de Monsieur le curé et le musée de Sucy. Ils ont pris la place du monumental Maître-autel sacrifié à la nouvelle liturgie. Le grand vitrail de Saint-Martin, dont on voit ci-dessus l'épisode célèbre du manteau partagé, a lui-même succédé, vers la fin du XIXe siècle, à une verrière plus ancienne dont on ne sait rien.

 

 

 

Un mariage à Saint-Martin

 

On se marie volontiers dans cette vieille église villageoise où tout rappelle un passé croyant. Lumières, grandes orgues, chants des choristes, solennisent la cérémonie. La présence du prêtre la sacralise.

 

Cette grand-messe dominicale était souvent suivie du baptême de jeunes enfants. La cérémonie collective se déroulait autour des fonts baptismaux du XIIIe dont on s’était débarrassé au cours du siècle précédent. Abandonnés dans le jardin du presbytère, transformés en vasque de fleurs, récupérés par la Société historique et conservés pendant quelques années au musée, ils avaient été réinstallés en 1997 au centre du chœur de Saint-Martin en profitant du vide laissé par l’éviction du Maître-autel.

 

On n’était pas seulement baptisé à Saint-Martin. On y faisait aussi sa communion solennelle dans l'ambiance familiale des beaux dimanches de printemps. Entre avril et septembre, on s’y mariait surtout le samedi et presque toujours « en blanc ». Les parents et amis, certains endimanchées et d’autres en tenues soigneusement négligées, parfois d'origines ethniques différentes, faisaient connaissance sur le parvis au milieu d’enfants turbulents et sous l’oeil de photographes et de cameramen amateurs[11]. La cérémonie achevée, tous se regroupaient sur le parvis pour accueillir joyeusement les mariés sous les poignées de riz, providence des moineaux et autres pigeons, ou les jets de confettis, insaisissables et polluants. Après avoir été dûment embrassés, complimentés, congratulés, les nouveaux époux se dirigeaient vers la voiture enrubannée qui allait les conduire, sous un concert de klaxons, vers le lieu des agapes. Cossue ou d’un modèle courant, originale par la forme ou l’ancienneté, de grosse cylindrée ou à traction animale, c’était notamment par elle que l’on pouvait pressentir le caractère des mariés ou apprécier l’opulence relative des familles.

D’autres automobiles, en toutes saisons et tous les jours de la semaine, stationnaient elles aussi sur le parvis, le temps d’une cérémonie religieuse. Elles étaient le plus souvent grises et conduites par des personnages en tenue sombre. Même si cela avait tendance à se perdre, il était toujours d’usage d’offrir aux défunts une ultime cérémonie religieuse dans l’église paroissiale. L’uniformité était la règle, avec cependant des nuances. La célébration d’une messe avec communion était subordonnée à la demande des familles, sans toutefois le soutien des chants, à la fois calmes et pathétiques de l’ancien Office des morts. Les autres se suffisaient d’un rituel plus abrégé, à base de cantiques en langue commune et sans grande inspiration, mais selon une liturgie qui n’avait pas encore rompu, du moins dans sa phase finale, avec l'odeur de l'encens et le bourdon des grandes orgues.

 

Amis proches, voisins, collègues, condisciples, commerçants, relations, n’omettaient pas de s’y rendre pour manifester leur sympathie aux familles affligées. Le nombre des assistants était généralement proportionnel à la situation sociale du disparu ou de sa famille, mais aussi à son âge. La mort d’un être jeune frappait profondément les esprits dans une société où la vie terrestre était considérée comme le bien suprême.

 

C’était au son déchirant du glas que le cercueil apparaissait sur le parvis pour y recevoir la dernière bénédiction du prêtre[12]. D’une tonalité lourde et lente, cette sonnerie dissipait le silence de la mort et imposait publiquement la solennité du moment. Ce n’était pas seulement un cadavre dont on se débarrassait en l’accompagnant pour un ultime voyage. C’était un homme, une femme ou un enfant, un « Frère humain » dont la vie reçue et vécue méritait le respect de tous.


 

 

 

Les quatre figures de Sucy

 

La Haute Maison,  la Vigne,  Saint-Martin  et le Château

Les quatre figures de Sucy

 

Ce dernier et poignant hommage, on le devait aux deux cloches logées dans le Clocher de l’Église Saint-Martin. Il dominait la partie haute du pays « comme un défi à la région parisienne »[13]. Sa silhouette caractéristique s'inscrivait dans le prolongement des rues, apparaissait à travers les feuilles des arbres, se devinait au-dessus des toits du vieux bourg. C'est bien pourquoi la Poste l’avait retenue en tant que l'une des quatre représentations significatives de Sucy. Elle la faisait figurer sur la flamme postale par laquelle étaient oblitérés tous les courriers en partance de la ville.

 

L’une des trois autres figures choisies était le château de la Haute Maison, siège de la municipalité mais aussi prestigieuse demeure de la famille Halévy entre le dernier tiers du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale[14]. Il y avait ensuite l’emblématique portail du château construit dans les débuts du XVIIe siècle par un neveu du grand architecte Le Vau. Puis un vignoble !

 

Pourquoi la vigne ? Ce n'était pas seulement un rappel de l'antique activité du village, quand presque tous les habitants se disaient vignerons. Le phylloxéra et les gros vins du midi en avaient eu raison à la fin du siècle dernier. Mais des gens imaginatifs, courageux et amis des traditions avaient fait le pari — il y avait une quinzaine d’années — de ressusciter la vigne sur 1 500 m² de coteaux miraculeusement préservés.

 

Cela fut l’occasion de faire revivre des cérémonies traditionnelles. C'est ainsi qu’était née la Confrérie des coteaux de Sucy[15] avec Grand maître, Grand conseil chapitral, Chevaliers et Dames de Cour. On les voyait plusieurs fois dans l’année, tous revêtus de longues robes pourpres avec manches à crevés rehaussées d'or, défilant derrière leur bannière avec autant d’entrain que de dignité. Ces coutumes moyenâgeuses recréées chaque année sur le parvis de l'église pour le ban d’ouverture des vendanges suivi de la bénédiction des premières grappes, offraient aux assistants une animation de bon aloi. Il en était de même de la qualité du vin. Du moins c'était ce qui se disait, non sans raison bien sûr !

 

Au-delà d’un folklore bien sympathique, cette initiative n'avait pas seulement contribué à sauver une parcelle du terroir sucycien dans le quartier des Clos. Dès son origine, elle avait résulté d'un évident désir de se relier, par la pensée comme par le geste, à une prestigieuse activité agricole. C'était en quelque sorte une manière d'oublier, et peut-être de combattre, la progression presque inéluctable de l'immense conurbation qui tendait à phagocyter un pays encore à peu près épargné.

 

 

 

 

Carrefour des Huit Routes dans la Forêt Notre-Dame

 

Ce carrefour marque à l’est la limite extrême de la commune de Sucy. Les directions des huit routes sont mentionnées sur le poteau situé au centre. L’attelage vient de Noiseau et se dirige par la « Route Royale »   vers le carrefour de la Patte d’Oie situé 1,5 km plus loin à l’entrée des Bruyères. Dans l’autre sens, après 4 km de sentiers forestiers, son conducteur aurait abouti à la Grande Romaine et débouché en Seine- et- Marne, à Lésigny, sur l’harmonieuse campagne briarde.

 

 

 

 

Mare dans la Forêt Notre Dame

 

De telles mares sont très nombreuses et les grenouilles s’y font bruyamment entendre.

 L'Allée Dauphine qui contourne celle-ci mène directement à Noiseau.

 

 

L’espace forestier sauvé de justesse

 

Une même bataille d'arrêt avait été gagnée un peu plus loin, mais à une autre échelle, avec l'acquisition en 1975 par les Domaines des 2 022 hectares – dont 242 sur le territoire de Sucy — de ce qui restait du Bois Notre-Dame. Ainsi avait été sauvée in extremis une surface boisée — tout à fait exceptionnelle à cette courte distance de Paris — et s’étendant sur le territoire de huit communes du Val-de-Marne et de la Seine-et-Marne[16].

 

Ces bois n’avaient malheureusement pas été totalement soustraits aux larges appétits de l’ogre automobiliste. Deux axes routiers orientés nord-sud les traversaient sur leurs franges latérales. La modeste route départementale, dite de Marolles, était un moindre mal. Il n’en était pas de même de l’autoroute Francilienne qui lui avait arraché vers l’est quelques hectares linéaires de bois et de taillis-sous-futaie. C’était pour les livrer chaque jour à la circulation d’une cinquantaine de milliers de véhicules de toutes tailles, dont les moteurs, tous à explosion, généraient à la fois bruit intense et large pollution. Certes, les arbres transformaient le gaz carbonique en oxygène. En revanche, ils digéraient mal les métaux lourds issus de la combustion de l’essence ou du gazole.

 

Le reste était devenu à la fois interdit à la circulation automobile et inconstructible. On croyait fermement y avoir établi pour l'avenir une solide garantie contre l’appétit des promoteurs et l'encerclement immobilier de Sucy qui aurait dû en être la suite logique. Et surtout, cette immense étendue boisée présentait un avantage précieux au bénéfice direct des populations d’alentour. Pour les Sucyciens, elle se trouvait au mieux à leurs portes, au pire à deux kilomètres et demi de leurs domiciles. Quels que fussent leur âge et leurs moyens, ils avaient à tout moment la possibilité d’y pénétrer à pied, à bicyclette ou à cheval. L'espace était tellement grand que l'on pouvait s'y perdre sans pourtant courir de grands dangers[17]. L’Office national des forêts (ONF) en assurait à la fois la rénovation et la surveillance. Les voies portaient des noms riches de passé : Route Royale, Étoile Dauphine, Chemin du Vieux Colombier ou Vieux Chemin de Paris, etc.

 

L’abandon dans lequel ses derniers propriétaires avaient laissé ces bois[18], ainsi que les dégâts causés par quelques incendies opportuns[19] avaient eu un avantage : celui de dégager d'immenses clairières et des landes de bruyères où trônaient encore quelques splendides chênes ou châtaigniers miraculeusement rescapés. À une demi-heure de Paris, les amateurs de solitude et de calme — n’eût été le passage continu des avions — pouvaient s'y sentir parfaitement à l'aise. Au printemps, on y entendait chanter les oiseaux, croasser les grenouilles et les crapauds dans de vastes mares, presque des étangs. À l'automne, on y ramassait des champignons. Le promeneur peu bruyant, marchant contre le vent, était susceptible de surprendre gros et petit gibier. Il y aurait eu plus de 400 chevreuils et 200 sangliers dans cette partie de la forêt. Pour maintenir l'équilibre des espèces, l'ONF organisait des battues. On pouvait même, en suivant le chemin du Parc aux Bœufs, découvrir de magnifiques bovidés écossais Highland Cattle, roux avec de grandes cornes, paissant en apparente liberté[20]. Quant aux scolaires, le sentier pédagogique tracé à partir du château des Marmousets offrait aux maîtres et aux familles un instrument exceptionnel « pour leur mieux faire connaître les équilibres préservés de la forêt au travers de sa faune et de sa flore »[21].

 

L'Office national des forêts qui avait entrepris de drainer, d'assainir, de débroussailler, d'aménager, de régénérer cet espace naturel, prétendait ne pas travailler seulement pour les contemporains. Le programme qui avait été mis au point en 1980 était un plan à long terme. Il visait l'horizon de l’an 2160... C'est le temps qu'il faut à un chêne pour arriver à maturité ! Le grand ministre Colbert en avait fait planter de vastes forêts en 1670 pour que les héritiers du roi Louis XIV disposassent encore au milieu du XIXe siècle d’assez de bois dur pour construire des grands vaisseaux à voile. A cette époque, on commençait à utiliser des bateaux en fer marchant à la vapeur. Combien il est difficile, à un siècle de distance, d’imaginer ce dont les futurs habitants auront besoin, et même ce quI leur sera laissé de cette vaste étendue forestière !

 

 

La Forêt Notre Dame en voie de reconstitution

 

Cette forêt, dont le magnifique chêne à gauche est un rescapé, n'a pas été ravagée par la fameuse tempête du 26 décembre 1999.Son aspect est seulement le résultat du délaissement ou d’une exploitation anarchique par ses derniers propriétaires. Elle a aussi été un peu incendiée par des promoteurs immobiliers qui voulaient la faire disparaître. Sur le  fond, on voit déjà s’élever les nouveaux arbres plantés depuis une quinzaine d'années par l'Office national des forêts.

 

 

 


 

 

 

 

 

Les nouvelles générations et la régénération de la Forêt

 

Ce panneau avait été placé sur le chemin du Vieux Colombier pour inciter les usagers à ne pas entraver les efforts des forestiers. Il a lui-même beaucoup souffert !

 

 

 

 

Le Chêne Royal

 

C’est sans doute l’un des plus anciens arbres de la Forêt Notre-Dame. Il a résisté au temps, aux guerres, à l’exploitation intensive de ses derniers propriétaires, aux incendies et aux tempêtes.

 Ce qui n’a pas été le cas de son environnement.

Il est situé à 300 m du Carrefour des Huit Routes. On y accède par l’allée Dauphine.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le monument aux morts de toutes les guerres

 

 

 



[1] Ce jeu, consistant à se déplacer sur une planche à roulettes, était à cette époque très en vogue, surtout auprès des enfants et des jeunes gens, mais aussi de nombreux adultes (Photographie ci-dessus).

[2] Piste circulaire avec différents obstacles sur laquelle des conducteurs de bicyclettes tout-terrains pouvaient s'entraîner ou se mesurer à la course.

[3] AM, Sucy Info, n° 187, septembre/octobre 2000, page 26 et suivantes.

[4] C’était à ce moment l’appellation imposée par la ville au château qui a porté successivement le nom de ses propriétaires : Lambert, Lalive, Ginoux, de Meux et finalement de Berc.

[5] AM, Sucy Info, n° 187, décembre 2000, page 23.

[6] AM, Sucy Info, n°187, décembre 2000, page 41.

[7] Voir Nouvelle Histoire de Sucy-en-Brie, tome III, La Grande Mutation (1804-1914), chapitre 15 rédigé par Geneviève RIBADEAU-DUMAS, pages 317 et suivantes

[8] Édouard WEISS (1883-1954), Alsacien et ancien combattant de la Grande Guerre, curé de Sucy de 1922 à 1953.Il a publié entre 1951 et 1953 une Histoire de Sucy-en-Brie en deux tomes, dont les citations ne sont malheureusement pas référencées.

[9] C’est la Société d’éducation populaire qui avait été à l’origine en 1929 de l’achat d’un immeuble au coin de la Porte et de la rue du Four. Transformé en « Vicariat », il avait été échangé vers 1980 avec la Municipalité contre une autre maison située sur la place de l’Église, devenue « Centre paroissial ».

[10] Ensemble paroissial de Sucy Noiseau, Guide pratique, 1998-1999.

[11] Le caméscope et la photographie numériques venaient de faire leur apparition.

[12] Il y avait bien longtemps, à Sucy comme presque partout ailleurs, que le clergé n’accompagnait plus les défunts au cimetière. On pouvait d’autant plus le regretter que les familles s’y retrouvaient presque seules. Ce n’était pas le cas lorsque le passage à l’église était délaissé. La cérémonie improvisée sur la tombe par l’organisateur des Pompes funèbres et le dernier adieu au défunt sous la forme d’une fleur posée ou jetée sur le cercueil par tous les assistants, suscitaient une émotion d’une intensité à laquelle les cérémonies religieuses, malgré les louables efforts du clergé, n’atteignaient pas toujours.

[13] AM, Sucy Info, n° 170, octobre 1997, article intitulé “Tout feu, tout flamme”.

[14] Voir Nouvelle Histoire de Sucy-en-Brie, tome III, La Grande Mutation (1804-1914), chapitre 5 rédigé par Bernard MÉA, pages 125 à 193.

[15] L’Aviseur, Bulletin de liaison des membres de la Confrérie des coteaux de Sucy-en-Brie, 1985/1995 La vigne de Sucy. Dix ans déjà.

[16] Voir Nouvelle Histoire de Sucy-en-Brie, tome IV, Le XXe siècle, chap.  13 rédigé par Henri BOULET, p. 477 à 481.

[17] Bien que ne faisant pas  l’objet d’une surveillance policière particulière, cette forêt partagée entre deux départements  ne semble pas avoir été, à cette époque, le cadre ou l’objet de faits divers relatés par la presse.

[18] AM, Sucy Info, n° 6, octobre 1987 : “Si rien n’avait été fait, la forêt serait morte dans soixante ans ».

[19] AM, Sucy Info, n° 147, mai 1993. L’incendie du 31 mars 1993 qui avait ravagé 5 ha boisés fit craindre une reprise des incendies ayant détruit fort opportunément 500 ha au cours du printemps 1976. Les hautes tours de guet qui subsistent aux lisières de l’actuelle forêt domaniale représentaient les vestiges de cette guerre du béton et de la nature dont une issue malheureuse aurait pu tout remettre en question (AM, Sucy Info, n° 20, juin 1976).

[20] Pour peu qu’on leur en apportât, ils se montraient assez friands de pain rassis.

[21] Sentier pédagogique des Marmousets, brochure et carte éditées par le Conseil général du Val-de-Marne et l’Office national des forêts, 1989 — Carte publiée par l’Agence des espaces verts de la région d’Île-de-France, 1995.