Sucy, points d’Histoire

Lettre mensuelle de la Société Historique et Archéologique de Sucy-en-Brie (SHAS)

N°15 - juin 2020

 

En ce temps d’épidémie du Covid 19

En ce temps d’épidémie du Covid 19, il faut rappeler que l’humanité a été en butte à de nombreuses épidémies au cours des siècles passés, sans avoir les moyens techniques de les enrayer. Parmi celles-ci, l’une des plus brutales en Europe fut la peste noire (1348-1349). Son origine est à rechercher sur les rives de la mer Noire, plus précisément dans la colonie génoise de Caffa (Feodosia aujourd’hui) en Crimée, assiégée en 1346 par une armée tatare dans laquelle se sont répandus les germes pesteux. Obligée de lever le siège la dite armée balança les cadavres des pestiférés au-dessus des murailles de Caffa, et trois galées génoises rapportèrent avec une cargaison d’épices les germes pesteux, qui atteignirent d’abord la Sicile, puis l’Italie et enfin la plus grande partie de l’Occident, comme le raconte le récit d’un contemporain, le chanoine de Bruges, Louis de Boeringen.
    « L’an du Seigneur 1348, la veille du mois de janvier, trois galées, chargées d’épices diverses et d’autres marchandises, ont abordé au port de Gênes, venues en hâte de l’Orient, mais affreusement infectées. Les Génois s’en étant rendu compte et comme d’autres hommes étaient contaminés immédiatement et sans remède, ces navires furent chassés du port à l’aide de flèches enflammées et de divers engins, car personne n’osait entrer en contact avec eux sans risquer immédiatement la mort. Ces navires furent ainsi refoulés de port en port ; à la fin cependant l’un des trois navires arriva à Marseille. Mais les habitants, n’ayant pas pris garde à l’arrivée de ce vaisseau, furent contaminés de la même manière, se contaminèrent réciproquement et moururent immédiatement. Alors les Marseillais expulsèrent cette galée qui, retrouvant les deux autres errant en mer, se dirigèrent ensemble vers l’Espagne… dans l’espoir d’y liquider leur cargaison. Mais ces vaisseaux avaient semé tout le long de leur voyage une telle épidémie, surtout d’ailleurs dans les villes et les régions maritimes, d’abord en Grèce, puis en Sicile et en Italie, spécialement en Toscane, ensuite à Marseille et par conséquent dans tout le pays de langue d’oc, que sa diffusion parmi les hommes est non seulement affreuse à croire, et même à raconter.
Les catapultes de l'armée Tatare ont propagagé la peste en projetant des cadavres infectés au dessus des ramparts de Caffa.
Ruines actuelles de la muraille de Caffa, sur les bords de la Mar Noire
(photographie de Michel Balard)
    




propagation depuis Caffa en 1347 sur les bords de la mer Noire


La peste au Moyen-Âge


L’infection présente, dit-on, trois formes. La première affecte les poumons ; celui qui est atteint de ce côté-là, même s’il est faiblement contaminé, ne peut pas s’en tirer et ne vit pas plus de deux jours. Des médecins en effet pratiquèrent des dissections en beaucoup de villes  d’Italie, et même en Avignon, sur l’ordre et le commandement du pape, afin de connaître l’origine de ce mal. L’on découvrit que tous ceux qui étaient morts ainsi subitement avaient les poumons infectés et crachaient le sang… Ce mal est contagieux, car lorsque le malade meurt, tous ceux qui l’ont vu pendant sa maladie, l’ont visité en quelque manière, ont eu relation avec lui, et ceux qui le portent à son tombeau, l’y suivent immédiatement, sans rémission.

Il y a aussi un deuxième symptôme qui se manifeste en même temps que le précédent. Il consiste en ce que des abcès naissent brusquement sous chaque bras, qui déterminent rapidement l’étouffement.

Il y en a un troisième, semblablement lié aux deux précédents. Mais celui-ci se développe ainsi : les personnes des deux sexes souffrent de l’aine, puis meurent subitement. C’est pourquoi la maladie se développe à ce point que, par crainte de la contagion, aucun médecin ne visite le malade, même si celui-ci offre tout ce qu’il possède en ce monde : le père ne visite pas son fils, ni la mère sa fille, ni le frère son frère, ni le fils son père, ni l’ami son ami, ni un voisin son voisin, à moins de vouloir mourir immédiatement avec lui et le suivre incontinent dans la tombe. Ainsi une affection, un dévouement et une charité insignes ont causé la mort d’une multitude innombrable de gens qui auraient peut-être échappé, s’ils n’avaient visité les leurs en ces circonstances.
   
En résumé, la moitié ou plus, des habitants d’Avignon sont morts. Il y a à l’intérieur d’Avignon plus de 7.000 maisons vides, dont tous les habitants sont morts ; il ne reste presque plus personne dans le faubourg. Le pape (nous sommes au temps de la papauté d’Avignon) a en effet acheté un terrain près de Notre-Dame des Miracles pour servir de cimetière. Depuis le 14 mars, 11.000 corps ont été inhumés, sans compter le cimetière de Saint-Antoine et ceux des religieux. Il ne faut pas oublier les régions voisines : à Marseille, par exemple, toutes les portes de la ville, sauf deux petites, ont été fermées, parce que les quatre cinquièmes des habitants sont morts. Il ne servait de rien de fuir, parce qu’en fuyant vers un air qu’on croyait plus salubre, l’on mourait plus promptement.
   
Je vous en dirai autant de toutes les villes et châteaux de Provence ; maintenant l’épidémie a dépassé le Rhône et ravagé beaucoup de cités et de châteaux jusqu’à Toulouse, et elle se développe sans cesse…Sur la foi d’une opinion populaire, on ne soigne pas les siens autrement que des chiens ; on leur jette le boire et le manger auprès de leur lit; puis l’on s’enfuit de la maison. Ensuite, quand ils sont morts, viennent de solides campagnards des montagnes de Provence, pauvres et misérables, de fort tempérament, que l’on appelle « gavots » ; ceux-ci du moins, moyennant une forte rémunération, portent les morts en terre. Pas de parents, pas d’amis qui s’occupent d’eux en quoi que ce soit ; pas de prêtres qui entendent la confession des mourants, qui leur donnent les sacrements ; mais chacun ne s’occupe que de sa propre santé et de celle des siens… »
 
Tableau épouvantable ! On estime qu’environ un tiers de la population européenne a disparu lors de cette épidémie, d’autant qu’il y eut plusieurs résurgences de la peste dans les décennies suivantes. Mais les pertes en vies humaines furent inégales : fortes dans les villes – Florence passa ainsi de 110.000 habitants en 1338 à 45.000 en 1351 - beaucoup moins dans les campagnes, dont certaines, comme la Bretagne, furent en partie épargnées. La reprise démographique ne fut effective qu’à partir de la seconde moitié du XVe siècle.


masque de médecin au XVII ème



Une publication de Michel Balard  (L'Histoire, février 2002) :




 

La prochaine exposition de septembre

En raison des impératifs sanitaires préconisés par le gouvernement, les réunions mensuelles de la Société Historique et Archéologique de Sucy ne reprendront qu’en septembre prochain. Toutefois les membres de la SHAS ont préparé notre exposition annuelle qui se tiendra à l’Orangerie du Château du 12 au 27 septembre sur le thème « 1870-1871 : Guerre, famine et révolution ». Elle sera agrémentée par des intermèdes théâtraux illustrant la vie des habitants pendant la guerre de 1870-71.

 

 

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